Ma chère Isabelle
Cela
fait trois jours que nous sommes bloqués au nord d'Amiens. Quand vient
le soir, l'air ne me laisse qu'un bourdonnement sourd. J'ai oublié le
son du silence. Je regarde mes frères, ils ont tous dans le regard une
certaine résignation, et peut-être qu'ils ne sont qu'un miroir pour moi.
Au petit jour, nous tentons de traverser les lignes
allemandes. Nous les voyons au loin ; ils nous ressemblent tellement.
Nos baïonnettes refusent de le voir, et les généraux sont aveugles.
Qu'est-ce qui nous permet de continuer ? Mes pas ne me guident que dans
l'espoir de te retrouver.
Aujourd'hui, il fait beau. Le
soleil éclaire la brume qui se lève, et c'est dans ces moments là que
nous avons quelques minutes pour respirer, et je réalise que ces gens là
ne m'ont jamais rien fait. J'imagine, dans leurs tranchées, qu'ils
ressentent ce que je ressens. Ils doivent se dire qu'ils ne me
connaissent pas, et quand nos yeux se rencontreront, ce sera la dernière
fois. On aurait pu se serrer la main.
Mais nos mains
sont serrées sur nos crosses, nos doigts figés par le froid et la peur.
La neige n'est pas encore arrivée. Sommes-nous encore en 1917 ? Nous
avons encore un peu de temps avant d'entendre les canons chanter. Il
paraît qu'aujourd'hui, on pourra enfin avancer. Je t'écrirai quand nous
aurons fait reculer l'ennemi.
Pour ma part, je vais bien, ne t'en fais pas. Nous mangeons correctement, et avons la nuit pour dormir.
Je t'aime.
Louis.
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