Amorces

Vendredi 13. J'ai oublié ma valise dans les toilettes de l'aéroport. Voilà ce qui clignote dans mon esprit, alors que je suis dans le bus et qu'il a quitté l'arrêt depuis cinq minutes. Je me ronge un ongle. Je suis pas superstitieuse, mais je me dis que c'est quand même pas de bol d'oublier ma valise ce jour là. C'est que j'en ai besoin, quand même. Je me sens un peu conne, du coup. Je me vois pas dire au chauffeur de me laisser descendre ici pour que je marche je sais pas combien de temps vers l'aéroport... puis y'a forcément la sécurité qui s'en est chargé. Et puis...

Et puis boum !

Un grand boum bien bruyant, un beau vacarme. Un truc de films d'action. On est loin, certes, mais on l'a tous bien entendu. Le chauffeur freine, les passagers regardent par les vitres. Un épais nuage de fumée s'élève dans les airs, on dirait un volcan en éruption. En tout cas ça a un peu fait trembler le sol, je crois.

Je garde profile bas. J'oublie ma valise, et y'a un truc qui saute. Je me dis, peut-être que la sécurité a raté son coup et a fait péter le terminal... Je me dis, y'a rien à faire, alors autant rentrer chez soi. Alors je m'adresse au chauffeur, l'air de rien, avec ma voix la plus innocente possible.

- Heuuuuuu ha bon, on s'arrête ?


***

   

C'est samedi. J'ai pas trop dormi. Je regarde les infos. Mon appartement ne me semble plus aussi sécurisant et hermétique qu'avant. Je scrute les images. L'aéroport de Kirkwall a explosé. Peut-être bien la chose plus improbable de tous les temps. Style, les Orcades, ça intéresse les terroristes, tout ça. Mais pas de doute. La moitié de l'aéroport ne ressemble plus qu'à un tas de cendres. Pile le jour où j'oublie ma valise. Et puis, j'ai pas envie de prendre le ferry pour aller bosser, moi ! C'est malin, je fais comment, maintenant ?

Mais c'est le moindre de mes soucis. Juste à côté de moi, à portée de main, mon téléphone vibre. Je jette un œil. Les deux, en fait. Numéro inconnu, évidemment. Et je n'aime pas les numéros inconnus. Mais je décroche. Je fais glisser mon doigt sur l'écran, en espérant que ce soit un faux numéro... Le mec au bout du fil a à peine le temps de dire qui il est, je raccroche d'un coup. Police. Mince. Ils vont se dire que c'est moi, c'est ma valise, tout ça. Je me gratte la tête, me lève et fais les cents pas dans mon salon. Le téléphone sonne de nouveau.

- Heuuuuuuu ouiiiii ?

- Vous êtes bien Miss Machine ?

- Heuuuuu oui oui.... c'est bien moi enfin... heuuuuuuu...

- OK, pouvez-vous vous rendre au poste de police dès que possible pour vérifier votre identité ?

- Oh ben heu oui... C'est à propos de quoi ?

- On a retrouvé un morceau de valise où figure votre nom et numéro de téléphone dans les décombres... j'avoue, j'ai eu peur que vous ne soyiez partie en fumée... c'est qui est arrivé à Madame et Monsieur Trucmuche.

- Haaaa, ouf !

Grand silence. Je peux être bien maladroite, des fois. Surtout au téléphone.

- Enfin, je veux dire, c'est cool que vous ayez retrouvé ma valise...

- Oui, enfin, il n'en reste rien.

- Ha. Oui. C'est vrai. Puis c'est triste pour les Trucmuche.

Je raccroche. Je suis rassurée, tout va bien. Je ne suis pas en cause, personne ne m'incrimine. J'ai juste pas eu de bol.


**    

    

Et quand je pense en avoir fini avec tout ça, on frappe à ma porte. Je sursaute un peu. Puis je vais ouvrir. Et là, un homme entre en force, armé d'un automatique. Je n'y connais rien en flingues et autres trucs de ce genre, mais ce n'est pas bien important. Le mec me met en joue et on va papoter dans le salon. Il fait les cent pas, on dirait moi.

- Putain, c'est toi qu'a posé ta valise dans les toilettes, hein ? C'est toi, hein ? Dis pas non, j'tai vue !

- Mais heuuuuu vous êtes qui ? Les services secrets ? La CIA ?

- Mais comment t'as pu me faire ça ! C'était MON explosion ! Mon spot ! T'avais pas le droit de faire sauter les chiottes !

J'écarquille les yeux. Le mec y fait exploser l'aéroport, et il m'accuse d'avoir plombé les toilettes ! C'est un peu fort, ça !

- Nan mais heu quoi, j'ai rien fait sauter du tout ! Y'avait que des fringues, dans ma valise, et quelques livres, le truc habituel ! Je me balade pas avec des explosif, mouah !

- Mais ta gueule ! Comment ça se fait que ça a sauté aussi tôt alors, hein ? Hein ? Comment t'explique ça ? Ça devait péter une heure après, fallait que l'avion d'Aberdeen ait atterri, tu piges ?

Non, je ne pige rien, je sais pas pourquoi il me raconte ça. Mais il a vraiment pas l'air content, et il continue de me menacer. Je me demande... est-ce une vraie arme ou une fausse ? J'en sais rien. Mais j'observe le flingue, les yeux plissés, concentrée. Et le type me le met sous le nez d'un air très menaçant. Encore plus menaçant qu'avant.

- T'es vraiment une salope, quoi ! Je peux pas te faire confiance, hein !

- RHA MAIS PUISQUE JE DIS QUE JE N'Y SUIS POUR RIEN !

- Fais pas ton innocente, avec tes yeux verts façon Bambi. Ça marche pas. Y'avait personne d'autre, alors c'est forcément toi !

- Meuh non mais pas du tout, et heu... ça a l'air vachement lourd, ton machin.

Il me le pointe sur le front, je sens le froid du canon sur ma peau. J'ai un mouvement de recul. Mal à l'aise. J'ai vraiment pas de chance. Dire que je m'étais acheté un nouveau manteau, soigneusement plié dans un sac, dans ma valise. J'ai vraiment l'impression d'avoir jeté de l'argent par les fenêtres. Et ça m'agace.

Il recule et vide une partie de son chargeur dans le canapé à côté de moi. Le cuir est désormais décoré de quelques orifices fumants. Et moi, j'ai sursauté à chaque détonation. Putain, mais la caution de l'appart', quoi ! Et ma coloc, quand elle va voir ça, elle va vouloir me tuer !

- Mais j'ai pas fait sauter les chiottes, à la fin, ça devient chiant, là, alors, hop hop hop, dehors, et fissa !

Il fait exploser la télévision. Forcément, des coups de feu, ça s'entend. Et les voisins ne sont pas très joyeux. Je leur gâche leur samedi.

- C'était MON coup ! Le MIEN ! T'es nulle ! Je pensais que t'étais une fille bien !

- Heu mais, je suis une fille bien ! Et je veux pas tuer des gens moi, au moins !

- Ouais, ben, à plus. Tu vas voir. On ne fait pas sauter les chiottes sans en subir les conséquences !

Il me balance un grand coup dans la figure avec la crosse de son flingue... et... et ben c'est tout. Et sincèrement, là, j'ai pas trop envie de me réveiller. J'imagine déjà mon proprio arriver et me demander trois mois de loyer supplémentaires. Et je vois mon employeur me dire que non c'est plus trop possible, et que je peux faire une croix sur mes heures sup. Et puis mon manteau tout neuf est parti en poussière.

Et j'ai même plus de télé.
Et ma coloc voudra m'achever.

Alors, non, je préfère rester là, faire la morte...

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