The Dreams We Had | 2014

Il s'agit ici d'un faux avant-propos d'un faux livre d'un faux auteur... bref, tout est imaginé...

Avant-propos


Ce livre n'aurait pas vu le jour sans tes mots et ton imagination. J'ai eu envie de me souvenir. J'ai regardé dans mes affaires, j'ai retrouvé nos cahiers. Ces vieux cahiers d'école chouravés dans lesquels on écrivait nos aventures. Grandir à Rousay est une expérience unique. Tu me diras, grandir n'importe où est une expérience unique. On ne vit qu'une fois, et on n'a jamais l'occasion de revivre nos dix ans.

Tu te souviens sans doute des cinq doigts de mon père accompagnés de sa paume, marqués sur ma joue, quand nous sommes rentrés de notre excursion à Eynhallow. C'était la première et la dernière fois qu'il a levé la main sur moi. Quand j'y pense, il me semble revoir l'emprunte laissée, rouge vif. J'en garde un excellent souvenir, parce que je l'avais bien méritée, celle-là, mais surtout, nous avions vécu l'aventure de notre vie. Tu te souviens aussi de l'oncle Jamie qui t'appelait Huck Finn. Ce radeau qu'on a fait, la traversée du firth. Si je ne m'étais pas appelé Einar, il m'aurait volontiers appelé Tom !

On a passé des heures à regarder les oiseaux dans la lande. La plus haute colline. Dès le petit jour, nous étions en vadrouille sur les petits sentiers, avec nos jumelles. Tu me faisais signe de regarder à gauche, regarde, un Busard Saint-martin ! On les voit toujours régulièrement en été. Et on entend régulièrement les Huîtriers, vers les côtes, avec leurs tee-teeoooo. Les Fulmars sur les falaises... et les Grands Skuas, qu'on appelle toujours Bonxies par chez nous, qui avaient vite fait de nous tomber dessus si on s'approchait trop... J'ai toujours mes classeurs remplis de photos et de descriptions.

Notre institutrice nous aimait bien, je crois. Nous étions un peu les deux petits cancres du fond de la classe. Pas par incapacité, mais par choix. Il y a tellement plus important à vivre et à faire, quand on a dix ans... Et nos parents qui nous disaient « mais qu'est-ce qu'on va faire de vous ? ». Les tiens semblaient un peu plus ennuyés que les miens. C'était une habitude. Ramener un A n'était pas une fin en soi. Nous riions souvent pendant les cours, parfois on chantait. Combien de fois as-tu fini au coin ? Et moi ? Et nous étions si pressés de sortir de l'école, pour courir dans les champs.

Mais tu te souviens aussi qu'il pleuvait régulièrement. C'est comme ça, par ici. On a deux jours de soleil, une semaine de vent et d'humidité ! Et ça ne nous arrêtait pas. Nous avions nos imperméables, nos bottes de pluie, et il ne nous en fallait pas plus pour qu'on rentre trempés et crottés, et que nos mères se retrouvent à laver le sol, encore une fois... Je crois bien que nous étions quelque part entre l'enfant et le ciré. Une belle vitalité, et en même temps, les remontrances glissaient sur nous comme des gouttes sur un manteau de pluie.

Tu te souviens qu'on se disait qu'on quitterait jamais l'île, qu'on resterait là pour toujours, à vivre nos aventures. On se cachait dans le blé, dans le foin, on courait dans la lande, on escaladait quelques parois, on se planquait dans les sites archéologiques, on s'imaginait rois d'antan, enterrés dans ces tombes préhistoriques. Nos dernières paroles, nos royaumes oubliés. Tout le monde connaît tout le monde, ici. Et ta maison est toujours là, à côté de la mienne. Il n'y a jamais eu aucune clôture pour séparer les propriétés. Nous avions grandi ensemble, et le reste allait de soi.

Mais j'ai quitté l'île. Le premier pas était le collège, il fallait prendre le ferry tous les jours pour aller à Kirkwall, étudier les maths, l'anglais, le français, la géographie... Ce n'était pas pareil. Nos cartes de contrées perdues enterrées dans des coffres en bois de cagette ne valaient pas grand-chose dans une salle de classe. Les choses devenaient sérieuses. Il fallait penser à l'avenir. Et puis il fallait faire un stage en entreprise. J'ai été boulanger pour un temps, parce que je ne savais pas quoi faire. Et puis j'ai écrit.

Le second pas était l'université. Je suis allé à Edimbourg. J'ai souvent rêvé que tu venais avec moi. Nous aurions eu un petit appartement en colocation pendant nos études. Et Rousay est devenu un rêve, lui aussi. Un souvenir. Mon archipel, mon enfance, tout ça, c'était loin. Et j'ai continué à écrire.

Et je suis là, à técrire ces mots, en espérant qu'ils te parviennent. J'ai retrouvé nos carnets d'histoires, j'ai retrouvé nos rêves, nos mythes, nos légendes, nos aventures. Ton écriture maladroite, la mienne, pas forcément plus lisible. J'ai tout revu, tout corrigé. Le résultat de ces relectures est ce recueil de nouvelles. Tu te souviens de nos histoires. Nos épées en bois, nos boucliers en couvercles de poubelles, nos casques faits de passoires et nos parents qui se demandaient où était passée la vaisselle... Tu te souviens de mon chien, de tes chats, de nos chevaux et de nos poulets. Du réveil à quatre heures du matin en été, des longues nuits à ne pas dormir, nous étions trop occupés à sauver le monde que nous nous étions créé.

Ces histoires sont les tiennes autant que les miennes. Ce que nous avions, quand nous avions dix ans. Rousay, j'y suis revenu. J'ai trente-trois ans, j'écris pour vivre.

A ta mémoire, mon compagnon, mon frère d'armes, d'envolées sauvages, de dérapages enchantés. Aux rêves que nous avions.
Einar


The Dreams We Had
Pour David Spence
1980-1991.

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