La maison qui respire | 2014

Je me souviens des ogres et des petits Poucet. Quand on court dans les escaliers, ça fait boum, crac, et oïnk. Et les escaliers sont là, bien en évidence, en face du canapé. Y'a même la télé dessous. Le vieux poste en noir et blanc. Pas si vieux, mais y'a pas la couleur. Et puis on a cette antenne inréglable. Et puis, entre la 4 et la 5, en fait, là, c'est la musique du Big Bang. Et si les orchestres s'appellent Big Bands, ce n'est pas par hasard. Alors la télé crache son code, les escaliers répondent, et nous, on rigole, forcément. Parfois on râle aussi.

Et des escaliers, y'en a des cachés, des dérobés. Le placard à droite du canapé était un colimaçon. Ca se voit, on peut aller dans ma chambre et puis au grenier en supprimant les planches. Moi, je les vois.

J'ai cassé deux planches. Et puis, il y a celui là. Il ne veut pas se dévoiler, il est timide. Il part du grenier. Y'a de la laine de verre dedans, pour calfeutrer. C'est une maison en un bloc, séparée des autres par un mur de torchis. Y'a un trou dans le grenier, et chez la voisine, y'a une vieille baignoire isolée, toute sèche d'avoir trop pleuré sur son sort, certainement. Elle est là, elle ne sert à rien. J'ai souvent envie de creuser un peu dans la terre et de voir...

C'est un autre monde. Mais chacun chez soi. Alors je me concentre sur l'escalier. Puis y'a le tapis de jeu, sur le plancher. On joue au foot dans le grenier, ça dérange les parents, ça casse un peu les murs. Puis y'a le toit en ardoises, il fuit. Y'a des seaux ici et là. C'est une maison un peu triste parfois, quand le ciel est gris. Elle déverse sa mélancolie sur le sol. Et la fenêtre est ouverte.

Sur le tapis de jeu, on crée des carambolages. Les petites voitures se foncent dedans. A l'école, on fait du vélo dans la cour de récré. On nous dit qu'il faut s'arrêter aux feux rouges, laisser la priorité à droite. Puis quand on regarde un livre du Code Rousseau, on voit que c'est pas toujours vrai. Et à la télé, y'a Raymond Devos qui nous parle d'un rond point qu'on ne peut pas quitter. Et le livreur de lait, il fait son beurre. Nous, on s'en fout. Les panneaux ne nous concernent pas. Les voitures s'envolent, s'encastrent. Et puis un Tyrannosaure vient terrifier la population.

Puis on met sur pause et on dévale les deux étages pour aller dîner. On passe par la cuisine. Le plafond pas encore fini, le petit toit en taule ondulée, l'isolation en cours de route. L'air se faufile par tous les trous. Et puis il y a cette petite cour, c'est pas un jardin, mais c'est chez nous quand même. Et quand il fait trop froid on peut pas ouvrir la porte à cause du gel. Et parfois, j'escalade le pylône électrique, je monte sur le toit, et je rentre par la fenêtre, au premier étage.

Ici, ça circule dans tous les sens. La forêt n'est pas loin, le stade est à un jet de pierre. Quand c'est l'école, on traverse la route. Puis quand on rentre, on mange nos céréales ou nos biscuits, on monte. Les escaliers. Les marches. Deux par deux. La maison nous livre ses mystères, petit à petit. Quand on a dix ans, c'est les Cités d'or, les Mondes Engloutis. C'est l'Eldorado. C'est le Grand Nord et le Désert Australien. On s'excite. On suit les pistes. Croc Blanc nous flaire sans doute, nous sommes suivis.

Y'a pas de priorité, ici. C'est le désordre et la fureur, la joie et la candeur. C'est une télé sous l'escalier, des planches un peu partout, des pièces raccommodées, des ardoises fissurées, des portes à droite à gauche. On tourne en rond, y'a pas de cédez le passage. A tous les étages. C'est le meilleur endroit au monde.

Je me souviens des ogres et des petits Poucet.

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